++ Entretien avec le ministre du Tourisme M. Adil Douiri : les grandes lignes du développement du secteur touristique pour la vision 2010.
Libération (Casablanca)
17-12-2003
Propos recueillis par Mohamed Kadimi
La promotion touristique incombe en bonne partie à l'ONMT. Toutefois, cet Office fait l'objet de plusieurs reproches depuis plus de 15 ans au sujet de ses statuts et de son mode de fonctionnement. A votre avis, l'heure n'a-t-elle pas sonné pour réformer cet instrument de promotion?
M. Adil Douiri: Il y a réforme et réforme. Concernant l'Office, la solution n'est pas de réformer ses statuts mais de réformer sa structure et de repenser son potentiel humain. Car à lui seul, le changement des statuts ne changera pas l'efficacité de l'ONMT. Ce dernier ressemble à une entreprise du secteur privé. Il a des missions, des objectifs et des recettes qu'il doit affecter, employer et investir. Par conséquent, il faut juste revoir son organisation, c'est-à-dire son mode de fonctionnement, les procédures, la qualité des hommes en exercice, recruter des gens de qualité. L'Office a donc besoin d'un rafraîchissement, d'une remotivation de ses ressources humaines, d'une redéfinition précise, claire et simple des missions de chacun et des procédures. Destiné à fonctionner comme une entreprise privée et performante, l'ONMT a été historiquement, mal géré, avec peu d'argent. Depuis l'arrivée de Mme Bennis, il y a eu d'importants progrès ainsi que la hausse des budgets. Depuis mon arrivée au ministère avec son aide, je me suis concentré sur la mise à niveau de l'Office en interne: la mise à niveau des hommes, de l'organigramme, le changement des missions et leur clarification pour faire fonctionner cet outil de manière correcte. Des progrès importants ont été accomplis et d'autres sont en phase de réalisation; donc les chantiers avancent. Le management de l'Office a été renforcé: Mme Bennis a recruté un directeur- général adjoint qui se concentre sur le travail de mise à niveau. Bref, le changement des statuts ne saurait entraîner, à lui seul, des améliorations. Une fois, les objectifs de mise à niveau atteints, nous n'excluons pas de changer la nature juridique de façon à donner encore plus de flexibilité à l'office. De surcroît, un deuxième axe important est d'associer les partenaires privés du gouvernement pour le contrat-programme à la définition des plans d'actions et à l'allocation budgétaire de l'office. Pour la première fois les représentants des professionnels ont été associés à la confection du budget 2003 et ont pu apporter leurs suggestions. De même et pour la première fois, les enveloppes régionales de promotion ont été définies.
On a l'impression que le tourisme intérieur ne constitue qu'une bouffée d'oxygène au moment des crises aiguës. Est-ce qu'on ne devrait pas plutôt élaborer une véritable stratégie pour favoriser cette composante du tourisme?
J'ai dit plusieurs fois devant le parlement et à la télévision publique que le ministère s'engageait à annoncer une stratégie de développement globale du tourisme interne avec les budgets qui correspondent à la promotion et avec les plans d'incitation et de développement du produit adapté à la demande marocaine. Cette stratégie est actuellement très avancée. L'étude a été achevée fin 2002. cette étude va être déclinée en un plan d'action qui doit être annoncé d'ici la fin de l'année 2003. Il fait partie des dossiers que je suis personnellement.
Quelles sont les grandes lignes de cette stratégie?
Le premier principe de l'étude est de séparer la stratégie par catégories socio-professionnelles. La demande du consommateur à revenu "A" n'est pas celle du consommateur à revenu "B". On ne peut pas faire une stratégie de développement du tourisme interne unique. Il faut affiner: Chaque segment a ses préférences. Si on veut réussir, il faut donner à la demande ce qu'elle réclame. Deuxième principe, la stratégie porte sur la définition du produit, de sa distribution et de sa promotion. Autrement dit, établir une stratégie globale qui traite le produit, les circuits de distribution et la promotion.
Ensuite, il est évident que certaines catégories socio-professionnelles ont un goût de standard international.
A ce niveau, le produit est déjà existant et il faut juste améliorer le mode de distribution et le marketing. D'autres catégories socio-professionnelles ont un goût plus particulier, spécifique pour un produit touristique donné. Il faut promouvoir le développement et la création de ces produits qui existent moins sur le territoire national. La difficulté qu'on a, c'est que les produits doivent être rentables pour l'investisseur. Or, malheureusement, le tourisme intérieur continue d'être extrêmement concentré sur le mois d'août. Et il n'y a aucun produit touristique que l'on peut rentabiliser avec une exploitation d'un mois par an. Donc, il y a une série de mesures qui seront proposées dans ce sens.
Le transport aérien est considéré par les opérateurs touristiques comme un handicap devant la relance du tourisme. Que pourriez-vous nous dire à ce sujet?
On est bien avancé, le ministre du Transport et de l'Equipement a promis le 14 février dernier à Agadir les étapes par lesquelles nous allions passer. Elles constituent une libéralisation très claire et cadrée du transport aérien marocain avec des nouvelles règles du jeu et la promotion d'une concurrence très agressive pour le développement de point à point par opposition de Hub de Casablanca.
Les deux doivent se développer mais nous, nous demandons, et Sa Majesté l'a demandé dans la lettre Royale du 14 février, le développement de point à point. Or, la RAM en tant que compagnie aérienne nationale, a intérêt à développer le Hub. C'est son intérêt économique et financier. Nous devons donc séparer les problèmes.
Il faut, donc organiser le transport point à point. Le rôle des ministères du Transport et du Tourisme, c'est de dessiner la carte du ciel. Celle-ci veut dire qu'il y a tant de chambres dans les hôtels, il faut donc tant de lignes. Ces chambres doivent être remplies des différents marchés, anglais, allemand, français, espagnol et d'autres. On fait par conséquent des hypothèses et on dit : voilà à peu près les lignes qu'il nous faut pour telle destination marocaine, voilà les fréquences et les rotations nécessaires pour remplir les chambres compte tenu de la durée moyenne du séjour. Aussi, nous avons réalisé cette carte du ciel au titre de l'année 2004, 2005, 2006 jusqu'à 2010 en fonction des prévisions des chambres qu'on construit : Saïdia, Taghazout, Essaouira, Marrakech-Agdal, Marrakech-Chrifia, la palmeraie, Fès, etc. On développe et on met des lignes aériennes. C'est-à-dire en fonction de la capacité hôtelière et des marchés qu'on vise. Dix millions de touristes pour nous, ce sont 2 millions de Français, 700.000 Britanniques, 800.000 Allemands, 800.000 Espagnols. On a nos objectifs qu'on peut corriger chaque année en fonction de la capacité.
Donc premièrement la carte du ciel pour définir les priorités du gouvernement en matière du transport aérien. En second lieu, il faut attribuer aux compagnies aériennes le développement de ces routes directes en point à point en les encourageant par des politiques de marketing, de communication et de publicité conjointe que l'on fait déjà à leur place avec l'ONMT. En attendant que le ministre du Transport annonce la réforme qui est finalisée et tranchée au niveau du gouvernement et du premier ministre, on a déjà commencé à donner des lignes. Nous avons signé avec TUI et Globalia pour qu'elles programment leurs compagnies aériennes Corsair et Air Europa sur des lignes directes en point à point. L'une c'est Paris-Fès, Paris-Marrakech et l'autre commence par Madrid-Marrakech puis les lignes Madrid-Agadir et Madrid-Fès. Mais c'est juste pour donner l'exemple, ce n'est qu'un échantillon.
Concrètement qu'est-ce qui va changer?
Nous sommes en train de changer notre capacité d'hébergement avec une rupture: 10.000 lits supplémentaires par an. Il faut donc que le transport aérien suive cette cadence, avoir la carte du ciel, c'est-à-dire l'adéquation entre les lits et les vols. Le problème était donc l'inadéquation et la densité des lits et du transport aérien, notamment sur le point à point et non sur le Hub. L'extraordinaire confiance qu'ont des investissements qui sont en amont de la chaîne ne durera pas si en même temps l'ONMT ne prévoit pas de campagnes de promotion pour permettre le remplissage de l'avion et donc de l'hôtel. S'il n'y a pas de coordination entre l'ouverture d'unités hôtelières, la programmation du transport et le marketing pour que la compagnie aérienne ne perde pas d'argent puisqu'au début le marché n'existe pas et les nouveaux hôtels n'ont pas encore de clients. Aussi nous planifions à la fois publicité, marketing et transport.
La réforme de l'aérien sera donc déterminante pour la vision 2010.
Pensez-vous que le dispositif fiscal actuel est favorable au développement du secteur touristique et à la réalisation des objectifs prévus?
Le contrat-programme prévoit la simplification et l'harmonisation de la fiscalité locale. Dans ce cadre, on a convenu que toutes les taxes à caractère local et concernant strictement le secteur hôtelier vont être définitivement supprimées à compter du 31 décembre (taxe sur le spectacle, taxe de piscine, d'ouverture tardive, de fermeture matinale). Deuxièmement, pour tout ce qui est à caractère local et multisectoriel, on a demandé aux professionnels de nous apporter leurs propositions pour qu'on puisse procéder à une opération de simplification. A ce niveau, la balle est dans le camp des professionnels. Concernant les taxes strictement locales mais qui ne touchent pas que le secteur du tourisme, l'objectif, est non pas de les supprimer mais de réduire leurs montants. Troisième catégorie, les taxes qui demandent l'harmonisation, à savoir la taxe de débit de boisson. Pour cette taxe-là, il suffit d'une circulaire de la direction générale des collectivités locales. Celle-ci a accepté et travaille actuellement avec toutes les communes pour qu'il n'y ait plus une commune qui applique un taux de 3%, une autre de 8% (cette taxe est applicable entre 3 et 10% à la volonté de chaque commune). La réponse de la direction générale des collectivités locales est claire: la nouvelle charte communale a unifié la ville. De surcroît, M. Saâd Hassar confirme que les taxes seront fixées à des niveaux raisonnables. Au niveau des taxes à caractère national, en l'occurrence la patente, la taxe urbaine et la taxe d'édilité, il a été proposé de fusionner la taxe urbaine professionnelle avec l'impôt de patente et de diminuer le taux de ce dernier impôt sans toutefois toucher à la taxe d'édilité. Cependant le gouvernement a proposé un texte de refonte globale des impôts à caractère national d'ici au mois d'avril 2004. Ceci est conforme à ce qui a été convenu avec les professionnels, c'est-à-dire tout ce qui concerne l'impôt de patente, taxe d'édilité et taxe urbaine. Ceci nécessite une étude approfondie car il s'agit de montants énormes au niveau national et les professionnels sont d'accord pour que cela soit réalisé en 2004. En 2003, nous avons abouti à la suppression d'une catégorie de taxes, allègement et simplification des taxes à caractère local, mais qui ne touchent pas uniquement le secteur touristique.
Les voyagistes promettent la lune à leurs clients mais et des problèmes surgissent souvent lors des grandes opérations. Que faut-il faire à votre avis pour réduire ces problèmes et mieux défendre le consommateur?
Au niveau du Haj, la relation entre le consommateur et le voyagiste est réglementée. Laquelle réglementation a évolué progressivement. Aujourd'hui, le nombre de problèmes purement Haj se réduit. En janvier 2003, avec l'aide de M.Mergaoui, directeur des établissements touristiques, on a rendu public un communiqué de presse stipulant que le ministère du Tourisme met en garde les agences de voyage contre le non respect des dispositions contractuelles relatives au pèlerinage et annonce des sanctions sévères à l'encontre des voyagistes qui ne respectent pas les clauses du contrat. Après le Haj, nous avons effectivement procéder à cinq retraits définitifs de licences. Toutes les agences qui ont vendu des places qu'elles n'avaient pas, sciemment en de mauvaises fois, ont été se sont vues retirées leurs licences. Notre espoir est qu'avec les sanctions qu'on a prises aux mois de mai et de juin, le Haj 2004 se passera dans de bonnes conditions.
Au niveau de la Omra, les professionnels ont toujours soutenu l'idée selon laquelle si on commence à réglementer la Omra, pourquoi ne pas faire autant pour les Marocains qui voyagent en Turquie ou en Egypte. Cela dit nous allons étudier quant même la possibilité d'adopter une démarche basée sur un cahier de charges avec des clauses claires en la matière. Ce qui ouvre la voie à des sanctions administratives pour protéger les consommateurs de ce produit. Le rôle du ministère se limite aux sanctions administratives, les consommateurs devant recourir à la justice pour défendre leurs intérêts
Un petit mot sur le tableau de bord du secteur touristique marocain?
A ce sujet il convient d'annoncer deux faits majeurs: il y aura à partir du mois de décembre prochain une réforme de la méthode de communication des statistiques touristiques. L'essentiel consistera en quelques chiffres et statistiques accompagnés d'analyse pour faire ressortir les faits saillants, les causes et effets. En second lieu, nous avons convenu avec la Fédération nationale du tourisme d'annoncer la création immédiate de l'Observatoire marocain de la compétitivité et des coûts, et ce avant la fin de l'exercice 2003. Grosso modo, ce sont les professionnels qui auront la tâche de définir, de concevoir et d'orienter le tableau du bord annuel du secteur avec l'aide du département de tutelle.
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