++ El Jadida dévoile son arrière-pays

· Tazotas, Casbah de Boulaouane, fauconniers... des atouts peu exploités

Les habitants du douar Laghmarat s’étaient parés de leurs plus beaux atours en cette matinée de juin. Le douar Laghmarat relève de la commune Chaïbat distante d’une trentaine de kilomètre au sud d’El Jadida et non loin de Had Oulad Frej. C’était un jour de souk hebdomadaire et pourtant les habitants du douar ont préféré attendre pour recevoir des visiteurs de marque. L’endroit a pour particularité l’existence de constructions monolithiques en pierre sphériques parfois trapézoïdes appelées Tazotas uniques dans cette région du Maroc. Arrivée sur les lieux, Corinne Breuzé, consul générale de France à Casablanca, était accompagnée d’une vingtaine de diplomates et personnes travaillant au consulat. Breuzé s’était déplacée pour participer à une excursion première du genre. Tenues de circonstance également pour Driss El Khazani, gouverneur d’El Jadida et pour Abdelkrim Bencherki, président de l’Association Doukkala. En tout, il y avait une centaine de personnes françaises et marocaines dont les délégués du tourisme et de la culture. Des enfants aussi étaient de la partie avec des casquettes de rigueur. C’est la première fois en effet qu’un tel événement se produit dans la campagne des Doukkala, témoigne Michel Amengual, un ex-journaliste de la chaîne “France 3” installé à Sidi Bouzid.
L’événement en question n’était autre que le circuit touristique organisé par l’Association des Doukkala. Au menu de l’excursion, après la visite des Tazotas, la Casbah de Boulaouane et pour couronner le tout, une tournée au village des fauconniers. L’originalité de la construction des Tazotas a séduit tout le monde. Ce style de construction dont les origines se perdent dans la nuit des temps se trouverait également en Amérique latine et en Irlande. Il serait dommage pour la région que ces Tazotas disparaissent sous le poids de la modernité, ajoute Michel Amengual. C’est ce dernier qui a eu l’idée de proposer le circuit à l’Association des Doukkala. Les Tazotas édifiées avec de la matière locale ont la particularité d’isoler aussi bien de la chaleur que du froid, explique Ahmed Hakkar, premier vice-président de la commune Chaïbat. Ces constructions avaient au moins un mètre de diamètre. Une Tazota visitée de l’intérieur faisait office de cuisine pour les actuels propriétaires. Elle était aménagée avec des ustensiles rustiques mais selon un style plus moderne. Les visiteurs ont particulièrement apprécié le “Msemen” sorte de galette, cuit selon la pure tradition rurale et parfumé de beurre de ferme et de miel.
Il est bien regrettable que des gîtes pareils ne soient pas organisés pour en faire des villages de vacances, a lancé un visiteur français. Un promoteur de la région en a bien eu l’idée, mais il se heurte paraît-il depuis bientôt 2 ans à des obstacles administratifs. Le style particulier de ces types de constructions risque de disparaître avec l’extinction des derniers maâlems spécialistes détenteurs de ce savoir-faire.
Dans des véhicules, le convoi des visiteurs s’ébranle ensuite vers la Casbah de Boulaouane. Pour mieux profiter du voyage, une cinquantaine de Français préfèrent le voyage en bus touristique mis à leur disposition par l’Association Doukkala. Après le passage de Had Oulad Frej particulièrement animé car c’était le jour du souk, le convoi bifurqua par une route tertiaire. Le paysage devint enchanteur après avoir dépassé un panneau signalétique indiquant la route vers le barrage Imfout. Une forêt de pins penchés tous vers le même côté par la force des vents attire l’attention des visiteurs. La forêt pourfendue par une petite route ombragée offrait des attraits naturels saisissants méconnus certainement de nombreux habitants d’El Jadida. “C’est regrettable qu’il n’y ait aucune carte touristique de cet endroit pour les amoureux des randonnées”, s’exclame un visiteur. Au passage du convoi, quelques ruraux sont stupéfaits de voir autant de véhicules en fil en une seule journée. Ils deviseront longuement au cours de leur soirée sur cet événement qui sort pour eux de l’ordinaire. La Casbah de Boulaouane se profila soudain après un tournant, dans un paysage époustouflant. Elle est majestueuse et imposante sur l’éminence d’une grande colline. La forteresse domine toute une vallée serpentée par la rivière Oum Er-Rabia. Cette dernière sépare les plaines des Doukkala et de la Chaouia. Les remparts de la Casbah inspirent le respect pour ses constructeurs dans ces lieux où règne une paix solennelle et magique. La citadelle avait pour rôle de maintenir la sécurité. Elle faisait office de garnison, servait de relais pour les troupes du roi Moulay Ismaël et était le lieu de ralliement et de surveillance des tribus de la région, explique aux visiteurs Niamat Allah El Khatib, archéologue. La Casbah construite entre 1710 et 1712 a été un site classé au temps du protectorat en 1924.Moulay Ismaël a fait édifier plusieurs forteresses à travers le Royaume. Parmi les plus connues figurent la Casbah de Tadla, celle de Settat et pour les Casablancais celle de Médiouna. Mais le site de Boulaouane est unique dans son genre, déclare l’archéologue. En pénétrant à l’intérieur par la porte monumentale de la Casbah, les lieux présentent un état de délabrement avancé sous l’action des vicissitudes du temps. Des premières études avaient été réalisées par l’Association Doukkala en 1995 et qui avaient nécessité à l’époque 5 millions de dirhams, fait savoir Abdelkrim Bencherki. Ensuite, il fallait faire des évaluations pour la restauration et la reconstruction de la Casbah de Boulaouane. Ce sont des investissements énormes qui ne peuvent être supportés que par l’Etat car au-delà des moyens de n’importe quelle association, ajoute Bencherki. La forteresse est encore comme point de ralliement aujourd’hui pour servir cette fois de repère pour un arrière-pays touristique riche.
La Casbah a un gardien. C’est Rahal, un vieil homme de 90 ans, dit-il. Il est sur les lieux depuis 30 ans et n’a jamais reçu aucun salaire, révèle-t-il. Il est dépassé par l’arrivée d’autant de visiteurs en une seule fois. Les rares visiteurs sont des MRE originaires de la région et qui arrivent surtout pendant le mois d’août. Rahal s’est aménagé une petite chambrette sans porte à l’entrée de la forteresse où il passe parfois la nuit quand il ne descend pas à son douar. La construction dans le voisinage d’un hôtel-restaurant même modeste serait une bonne opportunité d’investissement, dit un diplomate du consulat. Après un déjeuner à la traditionnelle sous une tente Caïdale, les visiteurs prennent la route pour la dernière étape: le village des fauconniers, loin d’une vingtaine de kilomètres. C’est la première fois que nos fauconniers sont vus tels qu’ils vivent avec leurs faucons au milieu de nos champs et de nos animaux, déclare Ali Kasmi, président de la commune des Lakouassems, capitale des Fauconniers. Fantasia et démonstration de chasse avec le faucon sont au programme à l’honneur des visiteurs. Les villageois, hospitalité oblige, se sont mobilisés pour recevoir les visiteurs. “Le village des fauconniers est aussi une ressource naturelle qui pourrait être d’avantage mise en valeur”, déclare Corinne Breuzé. Aujourd’hui, le touriste souhaite voyager intelligent. Les ressources naturelles ne sont plus entendues seulement au sens paysage mais aussi par la découverte des traditions. Surtout quand ce sont des traditions que nous avons perdues en France comme c’est le cas des fauconniers, ajoute la Consul. J’ai convenu avec le président de l’association des fauconniers d’organiser une manifestation au Sofitel. Ce qui pourrait donner, je l’espère, des idées au groupe Accor qui prévoit un développement important dans la région, dit encore Breuzé.
En outre des photos de ce voyage seront affichées au consulat. Un faucon sculpté en bois noir importé du Bénin a été offert au gouverneur par Mohamed El Ghazouani, fauconnier et aussi armateur. Ce sera désormais un symbole de la région telles les armoiries des chevaliers d’autrefois dressé à l’entrée de la ville, commente Driss El Khazani, gouverneur d’El Jadida. Pour sa part, l’association Doukkala a donné aux fauconniers de Lakouassem 9.400 DH montant de l’intégralité des participations pour l’excursion. Une partie de ce montant servira pour l’achat des pigeons, proies préférées des faucons…

De notre correspondant,
Mohamed RAM DANI